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jeudi 3 novembre 2016

Bénin : Affaire AJAVON Sébastien : Les incohérences du dossier relevées par un spécialiste


Si il y a un sujet qui défraie l’actualité ces derniers jours dans notre cher pays le Bénin et au sein de la communauté béninoise établie à l’extérieur, c’est bien l’affaire de stupéfiant découvert dans un conteneur destiné à une société appartenant à de Mr AJAVON et ayant conduit à l’interpellation de ce dernier. En notre qualité de professionnel du transport maritime, de gestionnaire de la chaine de froid et ayant collaboré à maintes fois avec des unités mixtes de contrôle de conteneurs durant ces dix dernières années, il nous parait aujourd’hui utile et légitime de faire cette contribution afin d’informer le commun des béninois sur les us et pratiques légales et régulières du métier qui, présentés sous un certain angle à un public profane, pourraient  paraitre louches ou accablantes.

Nous commencerons sur quelques points de la déclaration faite par Mr le Procureur de la République le Lundi 31 Octobre 2016 avant de revenir sur l’inspection proprement dite du conteneur suspecté.

Sans vouloir remettre en cause la bonne foi et la qualité de Mr le procureur, les faits comme énoncés dans son argumentaire pourraient paraitre compromettant. Mais est-ce vraiment le cas?

1-Sur le fait que le conteneur dans lequel a été retrouvé la substance prohibée ferait partie d’un lot de 02 conteneurs et non de plusieurs comme l’on aurait  voulu le faire croire.
Il apparait après quelques recherches que la société de Mr AJAVON avait 16 conteneurs débarqués du même navire et provenant de la même destination. Effectivement deux  conteneurs étaient sur un même BL (connaissement), les autres étant sur des connaissements différents. Ceci n’a rien d’anormal ni d’illégal. Le connaissement est le contrat de transport entre l’armateur maritime et le chargeur et il vaut titre sur la marchandise. En matière de transport maritime,  Le chargeur (celui qui expédie)  décide du nombre de conteneurs qu’il souhaiterait inclure dans un connaissement  pour des raisons propres à lui qui peuvent être financières. Lorsque vous achetez 10 conteneurs par exemple à un fournisseur à l’extérieur du pays, et même au cas où les 10 conteneurs embarqueront sur le même navire, il vous est tout à fait loisible de les répartir sur plusieurs connaissements. Vous pourrez alors les ‘enlever ‘ du port  à leur arrivée, connaissement par connaissement à votre rythme et suivant votre capacité financière.

2-Sur les numéros de série des deux conteneurs étant selon Mr Le Procureur : C16101049 et C16181840
Mr le Procureur n’est surement pas un professionnel du transport conteneurisé (Tout comme nous n’en sommes pas un du droit, abstraction faite de notions de droit maritime que l’exercice de notre profession nous impose). Un numéro de conteneur est composé des 4 lettres (Préfixe du propriétaire), suivies de 6 chiffres (le numéro de série proprement dit) et finit par un  dernier chiffre qui est une ‘clé’ de contrôle provenant d’un algorithme. Sur les vidéos de l’ouverture du conteneur en question, son numéro complet visible est le CRLU 131895 4.Le numéro de série au sens strict du terme de ce conteneur est alors 131895 et ne ressemble aucunement à ceux cités par Mr le Procureur. Le numéro de série pris isolément n’est d’ailleurs d’aucune utilité étant donné que plusieurs armateurs possèderont des conteneurs ayant les mêmes numéros de série mais ils seront différenciés par les 4 lettres du préfixe-propriétaire. De la même manière qu’une voiture au Bénin ne saurait se faire ‘identifier’ par les 4 chiffres sans les 2 lettres de série en début de sa plaque d’immatriculation.
Sur le fait que les conteneurs aient  été transbordés à Las Palmas et l’escale du  Nigéria avant l’arrivée au port de Cotonou : l’escale du Nigéria pourrait sembler douteuse à certaines personnes  (Le Nigéria ayant dans l’imaginaire collectif une certaine réputation avérée ou pas) mais les lignes maritimes décident de leurs escales tout comme les compagnies aériennes décident des aéroports à desservir. Tout conteneur en provenance du même port et par la même ligne maritime, quel que soit le client final donc COMON-CAJAF ou pas, suivra le même ‘chemin’ si tant est que la ligne maritime ne change pas son ‘routing’. Il est d’ailleurs simple de vérifier ceci en allant  sur le site web de la compagnie maritime en question et en simulant une expédition au départ  de Paranagua au Brésil (port d’embarquement du conteneur suspecté) et  à destination de Cotonou au Benin.

3-Sur la demande de transfert des conteneurs 24hrs avant l’arrivée du navire au port de Cotonou.  
Ceci est une pratique courante et légale dans le métier et va de pair avec le fonctionnement des ports secs, des magasins et aires de dédouanement, des entrepôts fictifs… etc. Il s’agit de transférer de la marchandise importée mais pas encore mise à la consommation (donc pas encore dédouanée) vers des lieux (ports secs, entrepôts fictifs…) dits ‘sous-douane’ en attente de leur dédouanement final. Ces entrepôts sous-douanes sont agrées par la douane et soumis à un strict cahier de charge périodiquement renouvelé. La demande de transfert se fait avant l’arrivée du navire pour permettre à la procédure d’êtrefinie à temps étant donné qu’elle est validée àplusieursniveaux de la douane. Si vous ne commencez pas votre procédure de demande de transfert avant l’arrivée du navire, vous vous retrouvez, en prenant pour exemple le cas de conteneurs réfrigérés, à devoir supporter entre autres frais, des frais de branchement que le terminal portuaire vous imputera parce que ayant à brancher les conteneurs (pour ne pas rompre la chaine de froid) en attendant que votre procédure soit terminée. La demande de transfert introduite avant l’arrivée du navire répondsimplement un impératif d’efficience logistique et non à une précipitation suspecte comme le profane pourrait le croire.

Pour en revenir à l’inspection du conteneur suspect et en ne nous basant que sur la vidéo largement diffusée, nous sommes probablement en présence de la découverte ‘la plus facile’ de stupéfiants de toute l’histoire du transport conteneurisé. Les paquets suspects ayant été découverts juste à l’entrée du conteneur entre deux piles de cartons de marchandises. Il arrive par accident dans les ports qu’un plomb scellant un conteneur soit cassé. En présence d’experts, un nouveau plomb est apposé au conteneur mais peine est prise au préalable d’ouvrir le conteneur pour constater visuellement qu’aucun dommage n’a été porté à la marchandise. En mettant une substance prohibée dans un conteneur à un endroit aussi facilement accessible, l’on prend le risque de le faire découvrir fortuitement en cas de rupture de plomb par exemple alors que la préoccupation logique de tout trafiquant est de rendre l’objet de son trafic le plus difficile à découvrir.

Parlant de plombs (scellés), la ligne maritime octroie au chargeur un plomb de sécurité ayant un numéro unique et que ce dernier appose sur le conteneur une fois qu’il l’a rempli. Ce  numéro de plomb est inscrit sur le connaissement et lorsqu’il est constaté intact à l’arrivée toutes les parties sont alors sures qu’à aucun moment le conteneur n’a été ouvert. L’intégrité du plomb de sécurité est la première étape d’une inspection de conteneurs. Nous n’avons rien vu de tel. Le plomb sur le conteneur au moment de son ouverture par la douane était-il celui sur le connaissement donc celui depuis le brésil ? Ceci est une question basique que tout professionnel du transport maritime soulève dans de pareils cas. Des plombs authentiques et inviolés signifieraient qu’aucune personne n’aurait eu accès à l’intérieur du  conteneur depuis sa fermeture par le chargeur au Brésil.

A l’ouverture du conteneur et à la découverte des paquets suspects, comme il est de coutume, il aurait fallu avec des sondes prendre la température interne de la substance suspecte. Cette opération fréquente et banaleauraitpermis de déterminer durant combien de temps à peu prèsles paquets suspects ont eu à  séjourner dans le conteneur. Sachant que pendant les six semaines qu’aduré le voyage du conteneur la température intérieure était largement en dessous de zéro vue l’état congelé de la cargaison.

Par ailleurs, il est d’usage en matière d’inspection de conteneurs suspects de mener une fouille minutieuse du conteneur entier même lorsqu’unedécouverte compromettante est faite entre temps. Il pourrait y avoir encore plus de substance interdite à l’intérieur du conteneur.  Il aurait fallu dans notre cas précis, fouiller les près de 3.000 cartons du conteneur. Pourtant il nous a semblé que l’on s’est limité simplement aux paquets découverts à l’entrée comme si l’on savait à l’avance le contenu. Peut-être la qualité du ‘renseignement’.

De la substance illicitea été retrouvée dans un conteneur. Ceci demeure un fait que l’on ne saurait nier. Les avocats de Mr Ajavon semblent affirmer que cette substance aurait été introduite par de malveillantes personnes .Déterminer à quel moment la substance a pu être introduite dans le conteneur pourrait aider à situer les responsabilités. Les pistes de la température intérieure des paquets et de l’intégrité du plomb ayant déjà été soulevées, il pourrait être utile d’exploiter celle des microprocesseurs présents dans les conteneurs réfrigérés.



En effet, le conteneur réfrigéré comme tout système frigorifique classique est composé d’un compresseur, d’un condenseur, d’un détendeur et d’un évaporateur. Cet assemblage permet d’injecter de l’air refroidi (supply air) dans le conteneur et d’en aspirer l’air moins frais (return air) dans le but de maintenir la marchandise à la température idéale. Le supply air et le return air sont deux paramètres de contrôle importants qu’un microprocesseur existant sur les conteneurs réfrigérés enregistre (le Data-logger). Ces enregistrements sont utilisés lors de contentieux commerciaux par exemple portant sur dégradation de la température durant le voyage du conteneur .Lorsque les portes du conteneur sont ouvertes, il se produit une subite entrée de l’air ambiant chaud de l’extérieur vers l’intérieur du conteneur est une sortie de l’air frais. Cetéchange d’air provoque automatiquement une brutale variation du supply air et du return air dépendamment de la sensibilité des capteurs thermiques présents. Une analyse de ces données pourrait déterminer si le conteneur en question avait été ouvert avant l’inspection par la douane.

En espérant que ces quelques lignes aient apporté à toutes et à tous une meilleure compréhension, aussi légère qu’elle soit, de notre métier d’acteurs du transport maritime.

Par amour pour le Bénin et pour tous ses Fils, qui qu’ils soient, en leur diverses qualités

Plecknova N.C SETEMEDE
Professionnel du shipping et de la gestion portuaire
Diplômé de la Lloyd’s Maritime Academy de Londres

Source : BENIN TIMES

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